Hommage à Dominique Bernard
Les étudiants et les personnels de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines ont observé une minute de silence à la mémoire de Dominique BERNARD lundi 16 octobre 2023 à 14h.
Suite à ce moment de recueillement, François Avisseau, directeur de la Faculté a prononcé un discours pour rendre hommage à l’enseignant de Lettres d’Arras.
Il y a trois ans, jour pour jour, Samuel Paty, au terme de ce qui apparait rétrospectivement comme une véritable chasse à l’homme, tombait sous les coups d’un terroriste islamiste. La France, incrédule, ne s’attendait pas à revivre pareille épreuve, et pourtant… Quel rappel plus atroce, quelle commémoration plus effroyable que cet attentat survenu vendredi dernier au lycée Gambetta d’Arras ? Pour le tueur, dont le bras était armé par la même idéologie meurtrière que son devancier, il était impératif ce jour-là de faire couler le sang d’un professeur, comme à Conflans-Sainte-Honorine trois ans plus tôt. Alors qu’il progressait dans l’établissement, l’arme à la main, un homme s’interposa et tenta de l’arrêter. Son courage lui coûta la vie. Il s’appelait Dominique Bernard. Il exerçait un métier que la folie des temps a rendu décidément dangereux, celui de professeur.
Son visage, qu’on a vu apparaître et se répandre à travers les médias, ne manquera de devenir aussi familier aux Français que celui de Samuel Paty ; familier oui, comme ce qu’on risque de ne plus voir à force, peut-être, de l’avoir trop vu. N’est-ce pas là, au fond, le piège le plus pernicieux que nous tend le terrorisme : nous habituer à ces carnages qui endeuillent notre pays depuis des années ? Devant ce qui passe à la longue pour de la fatalité, le cœur insensiblement s’endurcit. Là où la colère et l’effroi sont encore susceptibles de provoquer des réactions, bonnes ou mauvaises, sages ou hardies, l’indifférence, quant à elle, conduit immanquablement à la passivité, laissant le champ libre à des entreprises toujours plus abjectes. Alors disons-le avec force : l’assassinat d’un professeur, attaqué dans sa fonction même par un fanatique religieux, n’est ni ne sera jamais un fait divers car à travers lui c’est toujours l’École, et par là-même la République française, fondée sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, qui est attaquée en plein cœur.
Placés, comme nous le sommes une nouvelle fois, devant le spectacle affligeant de la barbarie humaine, nous ne pouvons réfréner en nous le même questionnement : quel sorte d’homme peut ainsi se lever un matin avec la ferme intention de supprimer ses semblables ? Il faut précisément qu’il ait cessé de regarder sa victime comme un être humain. Il faut que cet instinct d’humanité qui nous conduit naturellement à nous regarder les uns les autres comme des égaux, en droit et en dignité, ait été en quelque sorte aboli en lui ; or c’est là l’effet que produit sur la conscience le poison du fanatisme. Dans l’accomplissement de ce qu’il regarde comme sa mission, le fanatique ne reconnait aucun obstacle, aucune limite. Sûr de son fait, soumettant tout à sa doctrine, même la morale la plus élémentaire, il se croit excusé par avance de tout ce qu’il sera conduit à faire pour que triomphe cette cause à laquelle il sacrifie tout, au besoin lui-même. Un tel homme ne compose pas. La raison est sans prise sur lui. La paix lui fait horreur. Il n’est possible que de lui céder, ou de lui résister.
La résistance au fanatisme n’est pas qu’un problème d’ordre public ou de lutte contre le terrorisme. Il faut traiter le mal à la racine. Les meilleurs barricades en la matière sont celles qu’on érige dans l’esprit. Il existe en chacun d’entre nous un penchant pour le préjugé sur lequel il facile d’ériger des dogmes qui ensuite peuvent tout justifier, même l’injustifiable. Les amis de la vérité, disait Condorcet, sont ceux qui la cherchent et non ceux qui se vantent de l’avoir trouvée. Comprendre d’où nous viennent nos propres idées, les soumettre sans cesse à l’examen de la raison critique, fonder sa liberté sur l’autonomie de son jugement : voilà le vaccin précieux contre le fanatisme que l’école républicaine a la tâche immense, essentielle, de diffuser dans la société. Bien sûr, cela lui vaut la haine de tous ceux qui veulent non seulement tuer l’Homme qui ne pense pas comme eux mais, plus fondamentalement, tuer dans chacun la capacité à penser par soi-même. Oui, si l’école laïque est prise pour cible, une fois de plus, c’est parce qu’elle est notre rempart face à tous ceux qui ont voulu, qui veulent et qui voudront encore nous soumettre à leur vision du monde totalitaire.
Il est donc urgent que nous poursuivions tous ici, dans la mesure de nos moyens, cette grande œuvre collective qui est le progrès de l’esprit humain ; par la recherche et la production des connaissances, par leur transmission dans l’enseignement, par le fait d’apprendre même, non seulement pour préparer son avenir mais pour s’accomplir comme individu car, comme le disait Montaigne, notre occupation la plus sérieuse dans la vie doit être de faire bien l’Homme. Ne laissons pas la peur nous submerger par le battement régulier de ses macabres coups. Ce n’est pas d’hier que les ennemis du genre humain s’emploient à la faire retomber dans l’obscurité. Jusqu’à présent, l’aube a toujours succédé à la nuit et, pour peu que restions vigilants et mobilisés, j’ai la ferme conviction que les islamistes, comme tous les prêcheurs d’ignorance et de haine, finiront écrasés sous leurs propres ruines et seront voués à l’exécration universelle des siècles futurs. Que cette conviction nous arme de courage et de détermination dans les temps à venir. Ne cédons rien.